Le choix d’une licence de réutilisation à apposer aux données ouvertes est l’un des premiers choix politiques d’un programme d’ouverture de données publiques. Il s’agit de conditionner les droits et devoirs associés à la mise à disposition et à la réutilisation des données.
Tandis que certains pays légifèrent pour créer une licence unique de réutilisation, l’entrée tardive de l’état français dans le mouvement Open Data a obligé les collectivités ouvertes à improviser sur le sujet.
Si ces dernières communiquent entre-elles sur les retours d’expérience et la mutualisation de procédures d’ouverture, l’absence d’une licence juridique de référence leur impose de répéter individuellement un travail juridique complexe et chronophage qui consiste à effectuer un comparatif des licences possibles avant de faire un choix basé sur le projet et contexte politique local.
Le manque de standard a donc généré l’utilisation et la création de licences diverses, pénalisant la lisibilité d’usage et l’interopérabilité des données. Ainsi Montpellier et Bordeaux ont opté pour les CGR de l’APIE, Rennes en a fait une adaptation et Paris a choisi l’ODbL.
Pourquoi n’y a-t-il pas de consensus en matière de licence ?
Le contexte législatif
Extrait du volet juridique du Guide pratique de l’ouverture des données publiques territoriales (FING)
En France, la loi encadre la réutilisation des données publiques en précisant les droits et obligations des acteurs publics comme des réutilisateurs. Ainsi, la loi CADA de 1978 exige, sauf consentement explicite, que les réutilisateurs :
- Indiquent la source des données
- Indiquent leur date de mise à jour
- Respectent l’intégrité des données
En cas de mise à disposition de données sans notification de licence, c’est cette loi et ces devoirs qui s’imposent par défaut.
Les licences actuellement utilisées en France
L’Agence du Patrimoine Immatériel de l’État a été chargée de rédiger des licences de réutilisation pour les données publiques. Partant du principe que si les collectivités ne souhaitaient pas tarifer les données, les droits et devoirs liés à la loi CADA se substituaient à une licence, l’agence n’avait tout d’abord développé que des licences payantes.
Cependant, lorsque Rennes décida en 2010 d’ouvrir ses données pour des réutilisations gratuites, la ville souhaita y associer une licence. Ce n’est pas une obligation légale mais cela rassure les juristes et facilite la compréhension d’usage pour les réutilisateurs. C’est donc suite à ces échanges avec Rennes que l’APIE finit par rédiger une licence de réutilisation gratuite (les Conditions Générales de Réutilisation de l’APIE) qui est en fait une retranscription des conditions légales définies dans la loi CADA (impératifs de source, date, intégrité).
Bordeaux et Montpellier utilisent la licence CGR pour la mise à disposition de leurs données mais le positionnement initial de l’APIE sur leur tarification a nuit à l’image de l’agence et de ses licences auprès de la communauté du libre.
Problématique
Un flou juridique semble planer sur les CGR de l’APIE qui ne seraient pas compatibles sur les projets libres de type OpenStreetMap dont on sait le potentiel de valorisation de données.
« À la question de savoir si l’usage d’une licence du type APIE permettrait ensuite la réutilisation des données au sein du projet Open Street Map (sous ODbL), la réponse risquerait d’être négative 1) si la licence de l’APIE contenait des obligations à la charge de l’utilisateur différentes de celles contenues dans la licence ODbL ou 2) si les bases de données ouvertes étaient originales (donc objet de droit d’auteur) ou conséquentes à un investissement (donc objet du droit sui generis des bases de données), car l’ajout de la licence ODbL à ces bases nécessiterait qu’il y ait en amont une cession de droits adaptée.
Elles ont cependant pour inconvénients d’être franco-françaises (et donc incompatibles à l’international) et inspirées des modèles de contrats administratifs qui sont peu adaptés à des utilisateurs standards (notamment du fait du renvoi à d’autres textes). Au surplus, elles présentent pour défauts rédhibitoires (sources d’insécurité juridique) 1) d’être principalement axée sur la diffusion des données et non sur l’échange et la construction de services qu’une diffusion libre pourrait offrir, et 2) surtout d’être uniquement construite sur la base de la Loi du 17 juillet 1978 et de ne pas du tout prendre en compte les différents droits de propriété intellectuelle que la collectivité ou l’administration pourraient détenir sur ces bases. »
VeniVidiLibri : Les enjeux relatifs au choix de la licence
Alors que Rennes utilisait initialement les CGR pour la mise à disposition de ses données, la ville a ensuite développé une licence « Rennes Métropole en Accès Libre » afin de répondre aux attentes des libristes qui estimaient que les CGR de l’APIE n’étaient pas compatibles avec les projets libres (Wikipedia, Openstreetmap, etc.) notamment du fait de la mention « non altération des données » qui semble très floue. Une simple traduction d’une base de données en anglais pourrait être considérée comme une altération ?
D’où la rédaction de la licence Accès Libre qui comprend les mentions suivantes:
Les droits octroyés concernent :
- L’extraction et la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu
- La création de bases de données dérivées
- La création de bases de données collaboratives
- La création de reproductions temporaires ou permanentes, par tous moyens et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, y compris de toute base de données dérivée ou en tant que partie d’une base de donnée collaborative
- La distribution, la communication, l’affichage, la location, la mise à disposition ou la diffusion au public, par tous moyens et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, y compris de toute base de données dérivée ou en tant que partie d’une base de données collaborative.
La licence rennaise est donc une adaptation des CGR de l’APIE auxquelles ont été ajoutées des mentions sur les droits associés afin de la rendre compatible avec les projets libres. Si l’on peut regretter que cette licence ne soit pas non plus reconnue à l’international, limitant la compilation avec des données étrangères, des doutes semblent encore subsister sur la compatibilité avec les projets libres.
- La licence ODbL
Tout en respectant les droits et devoirs du cadre légal, les producteurs de données peuvent en effet orienter des choix plus précis (conditions en matière d’intégrité des données, d’identification de la source, etc.) et intégrer des variantes.
Ainsi à Paris, c’est la licence libre ODbL, développée initialement par Opendatacommons et traduite en français par VeniVidiLibri, qui est associée aux jeux de données. Elle ne se soustrait pas au droit français (droits et devoirs de la loi CADA repris dans les CGR de l’APIE) mais y ajoute au contraire des éléments.
L’ODbL met en œuvre la notion de copyleft. Le copyleft comme le copyright définissent et encadrent les droits des utilisateurs de façon contraignante. Le mécanisme est identique, mais les objectifs différents : le copyright garantit exclusivement les droits de l’auteur, le copyleft s’attarde tout particulièrement aux droits des utilisateurs, et vise à préserver la liberté d’utiliser, d’étudier, de modifier et de diffuser des bases de données et leurs versions dérivées.
L’ODbL impose que toute base de données dérivée soit maintenue sous la même licence, c’est à dire libre: accessible, modifiable et réutilisable par tous.
La licence OdbL crée donc un pot commun dans lequel s’ajoutent les contributions réalisées sur les bases de données libérées et participe à l’enrichissement collectif du travail plutôt qu’à l’appropriation individuelle. Une solution qui impose ce qui est au cœur de la démarche des logiciels libres : le partage à l’identique, c’est-à-dire le fait d’ouvrir à nouveau, et à tous, ce qui a été produit en reversant cette valeur ajoutée dans le pot commun.
En utilisant cette licence libre, les détenteurs de données imposent un devoir de contribution collective aux réutilisateurs. L’usage des données publiques est alors orienté non seulement vers l’innovation mais vers l’innovation sociale et la production de biens communs.
« Lorsque des administrations optent pour des licences interdisant les usages commerciaux, elles font le choix de se couper des projets emblématiques libres (Wikipedia, Open Street Map). Elles ne se donnent pas la chance de profiter de la visibilité offertes par ces sites (150 millions de visiteurs uniques pour Wikipédia). C’est d’autant plus dommageable que le travail effectué par ces communautés pourrait constituer un atout majeur pour les données publiques. En rendant accessible les données cartographiques à tous et sans discrimination, OpenStreetMap propose une alternative plus que crédible face aux services de cartographies publiques. Faire le choix d’être incompatible avec leurs licences pourrait être interprété plus que négativement par ces communautés. Ainsi, alors que l’Open Data vise à rapprocher les citoyens de leurs administrations, le choix d’une clause restrictive aurait plutôt tendance à les éloigner. » RegardsCitoyens
Sans licences libres pour les données publiques, des projets tels qu’OpenstreetMap, dont l’utilité sociale est reconnue par les Nations-Unis, et dont la qualité et les données sont souvent plus riches que Google Maps se verrait donc mis à l’écart par l’Open Data.
Pour soutenir l’usage des licences libres associées aux données publiques, Creative Commons, OKF, RegardsCitoyens et VVL ont publié un appel aux données libres dans lequel ils indiquent:
« Toute licence introduisant des limitations ou des discriminations à l’accès aux données ou des restrictions sur leur reproduction ou redistribution à des fins commerciales ne doit pas être considérée comme une licence Open Data, et cela en conformité avec ce qui a été préalablement établi par OpenDefinition.org. Actuellement, en France, seules certaines licences utilisées par les administrations publiques satisfont ces critères et nous recommandons donc le choix de ces licences libres. »
Vous pouvez soutenir les licences Open Data libres en signant cette pétition.
L’importance du cadre juridique
Les licences franco-françaises s’additionnent donc tandis que la communauté de réutilisateurs ne reconnaît pas leur potentiel de libération des données. N’étant pas juriste, on se gardera bien de statuer sur la validité ou non de ces licences , ce qui est sûr en revanche c’est que leur dénombrement et leur non-reconnaissance est un frein en soi à la valorisation des données.
« Un cadre juridique n’est pas seulement là pour protéger mais aussi pour faciliter la rencontre entre le détenteur des données et ses réutilisateurs. Ainsi, un cadre trop restrictif peut conduire à une valorisation des données médiocre voire, nulle. Un cadre trop imprécis peut créer de l’incertitude. Un cadre très précis mais incompréhensible par des non- spécialistes chassera les petits acteurs, souvent les plus innovants… »
On le voit, le choix d’un cadre juridique a donc un impact réel sur le succès des usages de données publiques.
La licence nantaise
La ville et communauté urbaine de Nantes terminent actuellement leur travail de comparaison des licences juridiques applicables pour la mise à disposition des données nantaises.
Dans la continuité de l’ouverture participative de la ville avec les acteurs, nous avons eu une réunion sur le volet licence, durant laquelle nous avons rappelé notre « idéal de licence »:
– Que l’accès et la réutilisation des données publiques soit gratuite, y compris à des fins commerciales, ceci afin d’assurer leur accès à tous, favoriser leur réutilisation ainsi que le développement des porteurs de projets y compris les petits porteurs.
– Que les données soient réutilisables sur des projets libres tels que Wikipedia et Open Street Map qui développent les biens communs en ligne et dont les contributeurs nantais soutiennent l’open data sur le territoire.
– Que la licence soit claire, compréhensible par tous, associée à la plus large réutilisation et donc reconnue à l’international.
Nous avons également précisé que la licence choisie serait très probablement temporaire car les collectivités ont tout à gagner (et attendent même) la création d’un standard sur les licences.
Le choix nantais sera rendu public dans quelques jours, peut-être à l’OpenDataQuiou où vous êtes invités à nous rejoindre si vous passez sur Nantes.
Et demain ?
L‘idée d’une licence européenne semble faire son chemin mais la mission Etalab, chargée de la création du portail unique interministériel des données publiques, travaille actuellement avec l’APIE sur la création d’une nouvelle licence pour le futur portail national data.gouv.fr
Celle-ci pourrait devenir le standard attendu en France pour peu qu’elle réponde aux attentes de gratuité, lisibilité, compatibilité projets libres et cadre international.
Réponse en septembre.
[MAJ: Nantes a choisi la licence ODbL, tout comme Paris, CG33/Aquitaine, Brocas]
Juste pour info, à l’autre bout du monde, en Nouvelle-Zélande, leur choix semble s’être porté sur la licence «Creative Commons BY licence» par défaut. Je ne suis pas assez calé au niveau juridique pour savoir si celle-ci serait applicable pour notre futur «data.gouv.fr» mais au moins les licences «Creative Communs» ont l’avantage indéniable d’être compréhensible par ….des humains
http://nzgoal.info/
http://www.creativecommons.org.nz/news_and_events/events/nzgoal_website_goes_live
Pourquoi ne pas parler de la licence anglaise utilisée sur data.gouv.uk? Pas non plus de mention de la CGR APIE V2 qui explicite la compatibilité avec les licences libres existantes…
Bonsoir Carla,
L’idée du post était de s’axer sur les licences utilisées par les collectivités en France. C’est pourquoi nous n’avons pas énuméré toutes les licences, ni étrangères, ni françaises (la licence IP par exemple qui avait fait l’objet d’un article sur ce blog https://libertic.wordpress.com/2010/04/12/licence-pour-les-informations-publiques-et-questions-subsidiaires/ ).
Pour la V2 de l’APIE, aux dernières nouvelles elle n’était pas encore publiée et serait l’objet d’une étude avec etalab. Après un (rapide) coup d’oeil sur le site de l’APIE, elle ne semble pas encore en ligne ? Si vous avez un lien n’hésitez pas à le poster.
Loic,
En effet les Creative Commons – qui ont l’avantage d’être humainement intelligibles – sont utilisées sur les projets Open Data de certains pays (Autriche, Espagne, Nouvelle Zélande, etc).
La question de compatibilité avec OpenStreetMap est abordée de manière incomplète. Du fait des « termes du contributeur » OSM demande bien plus qu’une simple compatibilité avec ODBL puisque la communauté peut décider de changer de license à tout moment.
Merci pour cet article qui résume bien la situation actuelle.
A quand une licence standard ? Ce serait dommage de se priver de nouveaux services numériques juste pour une histoire d’incompatibilité entre certaines licences. La multilicence pourrait être temporairement la bonne solution non ?
Bonne journée,
Maud
Metro’num – rencontre nationale des services numériques urbains
Bonjour Maud et merci 🙂
En effet, la multilicence (apposer plusieurs licences aux données et le réutilisateur choisit celle qui lui convient) est une solution partielle mais cela ne vaut toujours pas une licence unique.
Cela dit, la problématique des licences n’est pas spécifique à la France (lire l’article « An Open Government Data Licence for the World? »)
En espérant qu’ Etalab sera à même de créer un standard sur le sujet à la rentrée ?
Sinon pour la mise à jour:
la licence APIE V2 est sortie
https://www.apiefrance.fr/sections/acces_thematique/reutilisation-des-informations-publiques/des-conditions-generales-pour-la-reutilisation-des-informations-publiques/view
La réponse de regardscitoyens à cette annonce:
http://www.regardscitoyens.org/licences-opendata-lapie-grille-la-priorite-a-etalab-et-invente-le-pseudo-libre/
[…] Billet initialement publié sur LiberTIC […]
Bonjour et merci pour cet article très riche et très intéressant. Cependant, je m’interroge sur un point relatif à la licence CC-By que vous utilisez pour votre propre site.
Comme l’énoncent Mélanie Clément-Fontaine (L’oeuvre libre – Jurisclasseur propriété intellectuelle et artistique) ou Pierre-Yves Thoumsin (Creative Commons, Le meilleur des deux mondes) seule la licence CC-By-SA est réellement Copyleft. A contrario, l’emploi de la CC-By n’impose pas la remise dans le pot commun (au sens du Copyleft) et, partant, permet de constituer des droits de réservation sur une oeuvre dérivée.
Je comprend aisément l’emploi de la CC-By que vous faites, l’objectif étant de favoriser au maximum l’idée d’ouverture telle que votre ligne éditoriale le démontre sans cesse… j’apprécie et vous remercie de cette vision d’ouverture. Mais peut-être serait-il plus opportun d’employer la « restriction » du Share Alike qui favorise l’idée de partage et la création collaborative ?
encore merci pour votre travail et votre implication dans le mouvement Open Data.
Bonjour Cédric,
Merci de ces mots d’encouragement.
Entre le cc-by et le cc-by-sa, le choix est politique 😉