La semaine dernière, le Ministère de la Justice annoncait la création d’une licence pour réutiliser librement les données publiques en France.
Nous avons recueilli l’avis du collectif Regardscitoyens qui travaille sur l’accès et le partage de l’information politique.
– Quelle est la nouveauté de l’IP ?
Dans une situation idéale, cette licence n’apporte rien de plus que les licences libres déjà existantes. Nous soutenons que les licences respectueuses de l’OpenDefinition proposée par l’Open Knowledge Fondation sont compatibles avec la législation française : en obligeant les réutilisateurs de données à indiquer la provenance des données originelles, chacun peut vérifier le respect de l’intégrité des données originales. Si le licencié ne respecte pas ces conditions, les sanctions prévue par la loi CADA au regard du libre accès aux documents administratifs s’appliqueront.

Comme le rappel Thomas Saint-Aubin dans son article, un certain nombre d’administrations partagent ce point de vue et publient d’ores et déjà leurs données sous licence CC-BY-*.
Cependant, nous ne sommes évidemment pas dans un monde idéal. Si les administrations sont souvent de bonne volonté, plusieurs acteurs au cœur de la question voient d’un très mauvais œil l’utilisation de telles licences : plutôt que de valoriser les intermédiaires, les licences libres attribuent de la valeur aux innovateurs, citoyens comme entrepreneurs. Typiquement, les services juridiques hostiles aux licences libres répondent en général : « Nous sommes désolés mais les licences libres ne sont pas compatibles avec le droit français. Merci, au revoir. » Le travail du Ministère de la Justice est donc remarquable sur ce point : il démontre que la notion de libre réutilisation est bien compatible avec tous les textes existants.
– Doit on voir l’arrivée de cette licence comme le 1er pas vers une prochaine ouverture et réutilisation des données publiques ?
Ce que démontre l’arrivée de cette licence, c’est que le mouvement des données publiques libres et ouvertes n’est pas seulement initié par quelques citoyens ou entrepreneurs. Cela prouve que ce mouvement mobilise également dans la fonction publique. Maintenant que le débat sur la validité des licences libres est tranché, nous avons bon espoir que les directions compétentes rejoignent le mouvement et valorisent l’excellent travail réalisé par les administrations.
– Est-ce que cette licence est la résultante du travail de l’APIE ?
L’Agence de valorisation du Patrimoine Immatériel de l’État a travaillé de longs mois pour proposer des « licences types » utilisables par les différentes administrations. On aurait pu croire qu’au vu de la montée en puissance des licences libres, ils en auraient profité pour proposer une compatibilité avec ces licences existantes. Pour des raisons idéologiques, la direction de l’APIE a choisi de ne proposer que des licences soumises à redevance. L’article 36 du décret du 30 décembre 2005 indique pourtant clairement que les conditions de réutilisation de tout document publié dans un répertoire administratif (lieu de publication des documents) doivent être indiquées aux réutilisateurs. En ne s’intéressant pas aux licences libres, l’APIE tend à exclure leur utilisation.
La publication de cette licence de libre réutilisation de l’information publique résulte donc plutôt du refus de l’APIE de s’intéresser aux licences libres et de considérer leur apport pour la société de l’information. Espérons que l’APIE saisisse l’opportunité offerte par le Ministère de la Justice pour réviser son jugement et travailler réellement sur les licences libres !
– La licence est-elle menée à être diffusée largement ou limitée au Ministère de la Justice ?
La licence de libre réutilisation des données publiques ne limite absolument pas son usage au seul Ministère de la Justice. Il serait donc logique qu’elle soit utilisée par un très grand nombre d’acteurs publics.
Le ministère de la Justice est par définition le plus à même d’évaluer, de fabriquer et de pratiquer le droit. Il est donc logique qu’il s’intéresse à cet enjeu juridique majeur qu’est l’ouverture des données publiques. Étant donné que la directive européenne RE-USE incite les administrations à mieux communiquer sur leurs documents et données publiques, il est logique qu’en travaillant sur le Répertoire d’Information Publique, ce ministère décide de faire valoir ses compétences et porte ce projet pour aider à clarifier les éléments de droit.
– Il s’agit d’une V1, quelles différences peut on envisager sur la V2 ?
Cette licence n’est pas tout à fait compatible avec l’OpenDefintion
d’OKFN, reconnue au niveau international. L’article 7 limite la commercialisation des données ou documents aux seules oeuvres dérivées et non aux œuvres originales. C’est une clause contraire à la définition faite par OKFN. Le fait que les données soient librement accessibles et qu’elles ne puissent être dissociées de leur source limite de fait la commercialisation des données. Il est dommage de limiter l’émergence de service lié à la diffusion de ces données.
Plus largement, la V2 devrait permettre une meilleure compatibilité avec les licences reconnues par OKFN. Si les données ou documents produits par les administrations françaises ne peuvent être couplées avec d’autres sources d’informations libres, leurs usages seront forcement limités.
– Les informations publiques non libres (tiers détenteurs) sont toujours d’actualité, des dispositions sont elles prises pour que ces formats soient limités à l’avenir ?
A notre connaissance, il n’existe pas, en France, de volonté politique visant à limiter l’usage de licences non-libres pour l’information publique. C’est pourtant un frein très important au développement d’une société de l’information moderne qui favorise l’innovation, permette à tous de mieux comprendre et évaluer les politiques publiques, et offre aux administrations des opportunités de mieux valoriser leur travail.
Les institutions européennes ont clairement identifié ces enjeux comme prioritaires. La commission a créé une direction générale de la société de l’information, le Parlement Européen un intergroupe « Open Information Society », il existe donc une vraie synergie européenne à laquelle la France ferait fort de participer. Il est clairement temps d’agir !
Merci à RegardsCitoyens pour ces éclaircissements 🙂
Sources:
Les actualités de l’opendata par Regardscitoyens
La nouveauté de la Licence IP (FING)
Le Ministère de la Justice crée une licence (Zdnet)
Une licence pour réutiliser librement les données (Paralipomenes)
47.216842
-1.556744
Read Full Post »